HUMEUR, RÉFLEXION, ET CULTURE

Commissaire aux affaires culturelles, délégué régional « Occitanie » MMV, Docteur es Lettres en langues romanes, President de l,Association Aquarius, ancien Directeur de Boston University Paris, éditeur
Murs et clôtures
Vivement la pendaison de crémaillère ! Or la cheminée ne pose aucun problème dans la maison que nous venons d’acquérir. Les travaux réservent de nombreuses surprises, surtout les murs que les anciens locataires ont saccagés en déchirant les tapisseries, créant des grosses aspérités, voire des trous béants. Je n’aurais pas apprécié ces gens comme voisins dans cette maison mitoyenne autrement très agréable. Le jardin, en revanche, dispose de très beaux murs en brique nous évitant toutes réparations couteuses et nous assurant ce sentiment de « chez soi ». Une jolie clôture de fer forgé mérite d’être dérouillée et repeinte. Elle longe l’avenue Charles Baudelaire. Le poète des Fleurs du Mal est né un 9 avril. Je réparais mes murs ce jour-là : enduit, papier de verre, ponceuse, peinture, deuxième couche, et me souvins de mon premier séminaire à L’Université de Chicago, où on analysa ‘‘La Cloche fêlée’’. Le France n’organisa aucune commémoration pour un génie mondialement connu !
C’est le cas de Napoléon. On ne peut plus commémorer une figure historique en France, ni aux USA, sans se noyer dans des polémiques révisionnistes, racialistes et décolonialistes. Je me noie ainsi dans mes travaux sans être particulièrement bricoleur, conscient que si j’engage un artisan, il n’interviendra que dans six mois, moyennant un cachet démesuré pour des matériaux, tel le bois, qui vient d’augmenter de 200%. Alors je me souviens. Je suis toujours commissaire aux affaires culturelles de l’Association nationale Mémoires du Mont-Valérien et délégué pour l’Occitanie. Qu’est donc devenue la culture ? Les médias rapportent qu’il n’y pas de culture française. Qu’est devenue la Mémoire ? Qu’a-t-on le droit de commémorer ? L’Association n’a-t-elle pas l’obligation de se poser la question ? Elle se veut nationale, mais quel sens reste-t-il au mot nation ? J’écoute Radio Classique. On passe la Symphonie N°1 de Brahms. C’est rassurant. Je n’en pouvais plus de France Info : Trappes, puis, Conflans-Sainte-Honorine, puis Paris 16e, puis Rambouillet !
Ecoutons le sonnet de Baudelaire :
II est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,
II arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie
Au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts
Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts.
Nous en avons des grands Charles, n’est-ce pas ? Que doivent-ils penser de nos souvenirs lointains et les mémoires du Mont-Valérien ? Qui entend le cri religieux de nos églises et le gros bourdon de Notre-Dame ? Qu’est-ce que ce grand tas de morts du COVID, des maladies non traitées, des victimes d’attentats ? Moi, je vous avoue, mon âme est fêlée…Et je pense aux foules rassemblées en ces jours d’octobre pour notre cérémonie désormais interdite, et aux jeunes à qui j’ai fait visiter la Clairière des Fusillés et la Cloche et ses 1003 noms de Résistants. Je pense qu’il faut une Résistance, au gosier vigoureux, alerte et bien portante, un nouveau maquis d’où combattre les occupants de tout genre, libérer la France, juste la France, du joug de ceux qui ne savent que la détester.
Je reprends le mur de la chambre d’en bas, très abîmé. On passe toujours la Symphonie N°1 de Brahms, le dernier mouvement. La Philharmonie de Vienne est dirigée par Leonard Bernstein en 1982. Il avait mémorisé l’œuvre entière et l’interprétait sans partition. Il était élève à la Boston Latin School, la génération avant la mienne, quand on apprenait encore les tirades de Cicéron contre Catilina, sans se poser la question si l’occident avait droit à sa culture, et quand on expliquait le célèbre poème de Robert Frost, Mending Wall, bon souvenir pour le bricoleur que je suis, à réparer mon mur. La traduction française propose : En réparant le mur. Ce n’est pas exact. J’y vois plutôt : Mur réparateur.
Et ma corvée devient plus tolérable. Deux voisins se rencontrent au début de chaque printemps le long de leur clôture commune pour la réparer. Les intempéries, les chasseurs, et les sols gelés l’ont dégradée. Le narrateur prétend que les murs ne servent à rien et pourtant incite son voisin à la restituer. Ce dernier insiste que la clôture est essentielle au bon voisinage. Elle réunit les voisins en bonne intelligence, reconnait le caractère de chacun, encourage les bienséances (on n’entre pas chez l’autre sans lui demander l’autorisation, sans respecter son intimité, ses mœurs, ses us et coutumes …. et si admis, on ne vient pas les mains vides). Le dernier vers résonne : good fences make good neighbors, les bonnes clôtures font de bons voisins. Quelle magnifique leçon ! Le traducteur se permet d’aller plus loin : les bons murs font de bons amis. Le général De Gaulle serait d’accord. Il faut des frontières que l’on ne franchit que si l’on est admis, que si l’on assimile les valeurs nationales. Il faut donc réparer la France, la restaurer, traiter ses aspérités, lisser sa souveraineté, commémorer son histoire, soigner sa langue et sa culture, honorer son art de vivre. Il faut aussi une autre Europe. Nous en reparlerons à la pendaison de la crémaillère.
Gerald Honigsblum Commissaire aux affaires culturelles MMV
Magnifique, ce poème de Baudelaire que je n’avais pas relu depuis longtemps !
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Merci cher ami. J’aimerais beaucoup que vous fassiez connaissance. Amitiés. Alain
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Pour Baudelaire cela me semble difficile…mais pour Gerald c’est tout à fait envisageable
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