
« Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs qui, après leur mort, auront des successeurs. » Henri Fertet, prison de la Butte, 26 septembre 1943.
Il avait seize ans lorsque les Allemands lui ont ôté la vie. Né le 27 octobre 1926 à Seloncourt dans le Doubs, Henri Fertet est devenu résistant à partir de 1942. Fils de parents instituteurs à Velotte, quartier de Besançon, il vit une enfance joyeuse. C’est un garçon posé, calme et doux, que la guerre va faire grandir trop vite.
Larnod, village proche de Besançon, été 1942.
Une nouvelle recrue s’ajoute au mouvement de Résistance que mène le jeune Marcel Simon, 21 ans. C’est Henri Fertet, âgé lui, de 15 ans. Un de plus dans ce réseau composé uniquement de jeunes d’une vingtaine d’années, si ce n’est moins, et dont le rôle se concentrait principalement dans le recueillement d’armes qu’ils cachaient ensuite dans l’église du village. Des jeunes, qui refusaient la défaite française. Comme le soulignera plus tard en 1980 la mère de l’un d’entre eux : « Il fallait bien faire quelque chose… On ne pouvait rien leur dire, rien. Ils étaient résistants dans l’âme. »
Henri est un passionné : passionné d’histoire, d’archéologie, de sa terre dont il dessinera plusieurs croquis. De sa France, pour qui il tombera. Un patriotisme dans l’âme, un fervent croyant dans le cœur, une pureté qui force l’admiration, dans une guerre qui pouvait amener tant le meilleur que le pire en chacun d’entre nous.
« Qu’aurais-je fait si je l’avais vécue ? » C’est la question que se pose Jean-Christophe Jacottot, un originaire de Besançon. M. Jacottot connaissait l’histoire de Henri. Son père était élève du père de Henri, et sa tante Mme Monique Verdaux, aujourd’hui décédée, l’élève de Mme Cécile Fertet, la mère de Henri. « J’ai parfois l’impression que le temps s’est arrêté pendant 4 ans. Les gens pour beaucoup, pas tous heureusement, sont devenus sourds et aveugles, comme dans un état de sidération », me dit M. Jacottot. Ce ne fut pas le cas du mouvement de la région de Besançon, qui prendra le nom de Guy Mocquet en 1943 en hommage au jeune résistant communiste homonyme, fusillé deux ans plus tôt. Le mouvement débute par de la récupération d’armes avant d’effectuer des actes plus osés comme les vols de tickets de rationnement, des sabotages -dont celui d’une librairie allemande dans Besançon- ou encore des incendies des fermes de personnes considérées comme étant collaboratrices. Le groupe Guy Mocquet est rejoint en 1943 par le mouvement de Francs-Tireurs et partisans, Marius Vallet. C’est à ce moment-là que le mouvement recrute des jeunes aux alentours de Besançon ; c’est le cas de Henri Fertet. Des Républicains espagnols ayant fui la politique de Franco sont également recrutés, faisant ainsi du mouvement, déjà composé de catholiques et de communistes, un groupe des plus diverses. Le journal « Les Dernières Dépêches » honorait ainsi cet aspect dans le numéro du 17 août 1946 : « [Ils étaient] paysans et citadins, ouvriers et intellectuels, cultivateurs et employés, commerçants industriels, journaliers ou propriétaires (…) de la gauche à la droite, mais unis dans un désir commun d’une France laborieuse et de Français heureux. »
Leur première action massive s’illustre dans la destruction d’une écluse sur le Canal du Rhône au Rhin, en septembre 1942. Les Allemands, qui utilisaient ce canal pour les ravitaillements et qui faisaient descendre leurs vedettes jusqu’en Méditerranée, furent bloqués durant sept semaines.
Henri, désormais connu sous le matricule Emile-702, devient chef d’équipe. Trois faits d’armes peuvent lui être associés, notamment la récupération de munitions et d’explosifs le 15 avril 1943 au Fort de Montfaucon, mais également la destruction d’un pylône électrique à Châteaufarine (quartier de Besançon) le 7 mai de la même année. L’augmentation d’actions de plus en plus violentes entraîne l’arrestation de plusieurs membres du groupe. Le 12 juin, Henri est chargé avec Marcel Reddet de subtiliser des informations nécessaires à leur libération dans les papiers d’un commissaire des douanes allemandes. Mais la situation dégénère, l’arrivée d’un motocycliste allemand les empêche d’accomplir leur mission et Henri se retrouve contraint de tirer sur le soldat des douanes, le blessant mortellement. Après cette journée, les résistants seront poursuivis inlassablement.
Larnod, 3 juillet 1943, 3h30 du matin.
Des voitures allemandes circulent dans les rues de Larnod. L’église s’illumine dans la nuit : le dépôt d’armes a été découvert. Les minutes, les secondes sont comptées. Certains résistants parviennent à s’échapper ; ils rejoindront d’autres groupes de la Résistance. Henri est arrêté chez lui et sa famille, dans l’école de Velotte, et est emmené à la prison de la Butte.
Le maire de Besançon, le préfet, les personnalités vont interférer en faveur des vingt-trois jeunes résistants capturés. La mère d’un des résistants ayant parvenu à s’échapper avoue avec fatalisme : « Ils avaient toujours pensé qu’ils y arriveraient, mais ça n’a pas réussi. »
De leur cellule, l’écho de l’orchestre d’une brasserie voisine, toujours existante aujourd’hui, représente le seul halo de lumière au cœur de l’obscurité froide de la prison. Dans la dernière lettre qu’il adresse à ses parents, le matin de son exécution, Henri écrit : « Vous ne pouvez savoir ce que j’ai moralement souffert dans ma cellule. » Durant ses 87 jours en prison, il se lie d’amitié avec son voisin de cellule, également étudiant, avec qui il communique inlassablement en dépit du mur qui les sépare et des gardes allemands. Il lui racontera ses actes, mais également ses projets : lui qui voulait auparavant voyager, il décidait de devenir prêtre et de rester auprès de sa chère maman qu’il aimait tant. Il lui demandera de parler de lui à ses parents, tâche à laquelle le voisin de cellule, appelé Dufils, ne faillira pas. Dans une lettre que Dufils écrira à la famille Fertet après sa libération, il y décrit une voix « tantôt douce et calme, tantôt ferme et impérative ». La voix d’un jeune résistant qui vacille entre insouciance et gravité, entre l’enfant et l’adulte. Un jeune homme heureux pour ses compagnons de cellules qui recevaient des colis, alors que lui-même en manquait. Dufils aura essayé de lui faire parvenir de la nourriture au moyen d’une corde tendue entre leurs deux fenêtres, sans succès. Le gardien surprendra Henri et le rouera de coups, sans que le jeune homme ne prononce mot.
Bien avant le procès, c’est ce gardien qui prédit à Henri ces mots fatals : « Tu vas être fusillé. » Il jubile. Le douanier tué par Henri, c’était un de ses amis. Henri lui répond : « Être fusillé, mais j’en suis fier ; j’irai au poteau en chantant, et je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je suis content de mourir, j’ai la conscience en paix. Dieu est avec moi. »
Son procès a lieu le 18 septembre 1943, au tribunal militaire allemand de Besançon, la Feldkommandantur 560. Les preuves sont affichées sur la table, accablantes. Les avocats allemands défendent les résistants en les appelant « terroristes » et « francs-tireurs », induisant ainsi qu’ils avaient agi en dehors des lois de la guerre classique. Les peines tombent : sept partiront dans des camps de concentration, les seize autres feront face au peloton d’exécution. C’est le cas de Henri. Bien que la peine de mort soit interdite en France avant la majorité (21 ans), le juge déclarera : « Cette personne n’a que 16 ans mais sa maturité est telle que le tribunal peut réclamer la peine de mort. » Aux juges qui lui demandent s’il souhaite faire recours en grâce, Henri se lève et clame : « Messieurs les Juges, je n’ai plus rien à vous dire. J’ai fait mon devoir, ma famille et ma patrie peuvent être fières de moi. »
De retour dans sa cellule, il raconte tout de même à Dufils son trouble : un résistant qui avait été sous ses ordres, a essayé de lui reporter toute la responsabilité. Qu’il obéissait seulement parce que Henri le menaçait de lui tirer une balle dans la tête s’il refusait. Henri affirme finalement, « Je lui pardonne tout de même », avant de retourner prier, prenant au creux de ses mains une Vierge qu’il avait façonnée grâce à sa maigre pitance de mie de pain.
Quand il raconte son procès à Dufils, il parvient à plaisanter : « Je me suis bien amusé à regarder le crâne rasé du procureur général. » De son avocat, il le décrit comme « très chic » pour lui avoir donné des morceaux de sucre pour le procès (« Je n’en ai pas eu besoin ») et des livres pour apprendre l’allemand en cas de grâce.
Le Maître Kraehling, après le procès, donne la parole à Marcel Simon. Il écrit dans ses notes : « En termes émouvants, il demanda au Tribunal à être exécuté seul, puisqu’il avait entraîné les jeunes, moins responsables que lui. » Marcel Simon déclare « Mes amis, j’ai été votre chef et je ne vous abandonnerai pas. Le Capitaine doit rester sur son vaisseau quand il sombre ». En racontant cet acte, Henri Fertet sourit à Dufils de derrière le mur : « Le Chef a été sublime. »
Dufils est libéré avec pour mission de transmettre l’histoire de Henri à sa famille. Quant à Henri, le 26 septembre 1943, il dispose de quelques minutes avant son exécution pour écrire une dernière lettre à ses parents. Si peu de temps pour tant de choses à dire. Pour dire à quel point il les aimait, qu’il était enfin arrivé au vrai amour filial, qu’il s’excusait de la douleur que sa mort allait leur procurer, qu’il n’avait pas peur de mourir car il était en paix. Il en profite pour régler ses comptes : il faut rendre le livre du Comte de Monte-Cristo à un camarade ainsi que du tabac à un autre, et Hennemann lui doit un paquet de cigarettes.
Il les rassure, « Mon écriture est peut-être tremblée ; mais c’est parce que j’ai un petit crayon », avant de certifier « Quelle mort sera plus honorable pour moi que celle-là ? Je meurs volontairement pour ma Patrie ». Fier, la tête haute, il promet à sa mère qu’il chantera Sambre et Meuse « jusqu’au bout ».
Quatre à quatre, les résistants du groupe Guy Mocquet sont fusillés, un « Vive la France » au bord des lèvres et leur patrie ancrée dans leur âme.
Le lendemain, un soldat allemand entre dans le café du « Au Capitole », démoralisé. Il a assisté en tant que sentinelle aux mises à mort de ces jeunes. La tenancière, Mme Renault, témoigne de ses paroles : « Ce sang, tout ce sang, jamais je n’oublierai cela ! » Il raconte que tous, jusqu’aux derniers, n’ont cessé de chanter la Marseillaise et Sambre et Meuse jusqu’au moment où ils sont tombés.
Le journal « Les Dernières Dépêches » publiera un hommage en 1946 : « Ils vivaient parmi nous, comme nous, mais une flamme héroïque brûlait dans leur cœur, et Français de France, Français de chaque jour, ce n’est qu’à la brisure du sacrifice que leur âme se révéla. »
Les jours suivants, la population bisontine n’hésite pas à déposer des fleurs sur la fosse où sont enterrés les résistants, malgré les interdictions des Allemands. C’est le cas également ensuite sur la tombe de Henri Fertet, dans le quartier de Saint-Ferjeux. Une désobéissance civile que M. Jacottot explique par deux raisons, l’une étant pragmatique et l’autre idéologique. Il connaît bien la ville, le quartier de Saint-Ferjeux était un vrai labyrinthe à l’époque, un dédale : « Un Allemand n’aurait pas pu [y] trouver un bisontin ». Ajouté à cela qu’ils agissaient de nuit, les bisontins se jouaient du règlement. En outre, il leur paraissait impensable d’être arrêtés pour avoir simplement déposé des fleurs sur une tombe. Pour beaucoup, Besançon est une terre de Résistance, une ville d’entraide où le refus de l’injustice est gravé dans leurs gènes. Elle ne se souciait guère des engagements politiques des mouvements de Résistance : le groupe Guy Mocquet était gaulliste, communiste… mais il était surtout, selon M. Jacottot, « une union sacrée de personnes ne voulant pas tomber dans l’asservissement ».
La lettre de Henri Fertet prend une portée nationale. Elle est recopiée par des personnes anonymes, publiée dans la presse clandestine dont « Témoignage Chrétien », qui fut la première, mais également lue à la radio de Londres par Maurice Schumann le 9 décembre 1943. La mémoire nationale est immédiate, et un martyrologe est dressé au nom de Henri, parti si jeune, et, indépendamment de lui, devenu un des symboles de la barbarie nazie.
Un martyrologe qui effleure à peine une famille déchiquetée, brisée par la perte d’un fils. En apprenant l’histoire du jeune résistant, le Général De Gaulle écrit à la famille : « Au moment où sonne pour le pays l’heure glorieuse préparée par les meilleurs de ses fils, la France meurtrie mais victorieuse reporte sur Henri Fertet sa gratitude et sa tendresse, en même temps que sa fierté. » Il remet en 1947 la médaille de l’Ordre de la Libération à M. Fertet. Henri reçoit à titre posthume le grade d’aspirant des Forces Françaises de l’Intérieur, la Croix de Guerre 39-45, la médaille de la Résistance, la Croix du Combattant Volontaire, la médaille de la Déportation et de l’Internement pour faits de Résistance. Il est également nommé Chevalier de la Légion d’Honneur ainsi que Compagnon de la Libération. Tant de titres honorifiques et de reconnaissance nationale qui honorent le sacrifice de Henri Fertet. Mais quels discours, quelle gratitude peuvent aider une famille meurtrie à se reconstruire ?
Cette famille qui ne s’est jamais remise de cette tragédie. Jean-Claude Jacottot, qui a été l’élève de M. Fertet en 1952, me raconte : « Il était toujours dans ses pensées. Usé par la tristesse qui l’accablait depuis la mort de son fils. Il fumait cigarettes sur cigarettes. C’était un brave homme mais il était rongé par le chagrin. (…) [Avec Mme Fertet] ils formaient un couple triste à l’écart des autres. » M. Jacottot et son fils discutent. Le premier en vient à la triste conclusion que M. Fertet devait voir dans les enfants de sa classe son aîné. Le fils de M. Jacottot rajoute à mon égard : « Papa m’a toujours dit qu’il était souvent puni, mal vu, sûrement une façon de dire « Pourquoi es-tu là alors que mon fils, ce héros est parti ? » »
Henri Fertet et sa femme Cécile partent à la retraite en 1955. M. Fertet décède peu de temps après. Pierre, le jeune frère de Henri pour qui il vouait une grande admiration, vit en compagnie du fantôme persistant de son frère aîné. Les mots à son propos écrit par Henri dans sa lettre « Il doit se montrer digne de moi » le poursuivent, lancinants dans son esprit. Seul survivant d’une fratrie de trois garçons, un autre étant décédé avant la guerre, il porte la lourde charge que son frère aîné a déposé sur ses épaules.
Le 3 décembre 1980, le journal « L’Express » intitule un de ses articles : « Besançon : tragique histoire et navrants prolongements ». Au matin, Pierre et sa mère se sont donné la mort dans leur voiture au cœur de la forêt de Chailluz à Besançon. Le journal relate les faits à la fois sordides et poignants, résultats d’une longue et lente agonie, d’une vie hantée par le souvenir d’un fils et d’un frère mort pour la patrie, de seize années soufflées en l’espace d’un instant.
Aujourd’hui, que reste-il de Henri Fertet ? La fille de Pierre et nièce de Henri, Mme Myriam Fertet-Boudriot, a décidé en 2013 de léguer au musée de la Résistance de Besançon toute une valise comportant des documents reliés à Henri : 250 photos, 2 ouvrages, 3 dessins, 11 objets dont son portefeuille, une quarantaine de pièces d’archives… Un trésor inestimable pour assurer la pérennité du sacrifice du jeune résistant. Sa lettre, traversant les décennies, est régulièrement lue par les étudiants et lors de la célébration du 75ème anniversaire du Débarquement, le président Emmanuel Macron remet en lumière les phrases rédigées par Henri avant sa dernière marche vers le peloton d’exécution. Des rues, des écoles, des lycées portent son nom, amenant chaque bisontin, selon M. Jacottot, à se demander qui est ce jeune Henri, mort à l’âge de 16 ans. Afin de faire connaître son histoire au plus grand nombre, celui-ci effectue des discours d’hommage lors de commémorations. Il ajoute : « Ce qui m’intéresse c’est ce qu’il reste dans la tête des gens. (…) Il faut témoigner afin de ne pas oublier le sacrifice de certains pour la liberté de tous. Un nom inscrit quelque part, si vous n’avez pas l’histoire derrière, ça ne sert pas à grand-chose. »
Témoigner, raconter l’histoire de Henri Fertet, ce jeune homme dont le souhait était celui « d’une France libre et des Français heureux, (…) une France travailleuse, laborieuse et honnête. Que les Français soient heureux, voilà l’essentiel. », une grandeur d’âme qui refusait le bandeau et les attaches, mais un enfant qui avait encore tant d’années devant lui.

« C’est dur quand même de mourir. »
Clémence Dethoor
Mes plus sincères remerciements à M. Jean-Claude JACOTTOT et son fils M. Jean-Christophe JACOTTOT qui ont tous les deux accepté de témoigner et d’éclaircir l’histoire de Henri Fertet.